"Quel serait l'effet du coloris le plus vrai et le plus beau de la peinture sur une statue ? écrit Diderot. — Mauvaise, je pense. Il n'y a rien de si déplaisant que le contraste du vrai mis à côté du faux, et jamais la vérité de la couleur ne répondra à la vérité de la chose. La chose, c'est la statue, seule, isolée, solide, prête à se mouvoir : c'est comme le beau point de Hongrie de Roslin sur des mains de bois ; son beau satin si vrai sur des figures de mannequin." Diderot a raison. Si la sculpture, qui façonne ses images en ronde bosse, ajoutait à la vérité palpable des formes la vérité optique des couleurs, elle aurait avec la nature trop de ressemblance à la fois et pas assez ; elle serait tout près du mouvement et de la vie, et ne nous montrerait que l'immobilité et la mort. La couleur, après un moment d'illusion, ne ferait que rendre plus sensible et plus choquante l'absence de vie, et cette première apparence de réalité deviendrait repoussante quand on la verrait démentie par l'inertie de la matière. Nous en avons un exemple frappant dans les figures de cire : plus elles ressemblent à la nature, plus elles sont hideuses. Dès que le spectateur a reconnu leurs yeux d'agate au regard fixe, leurs cheveux postiches, leurs faux sourcils, leurs barbes rapportées, il se sent en présence de fantômes qui lui font horreur, précisément parce qu'il les voit semblables à lui-même. Les ombres impalpables que la peinture nous représente peuvent avoir de la poésie et un charme effrayant ; mais ces spectres épais et vides, en qui la vie n'est point et ne fut jamais, n'ont pas la même majesté de la mort. Ils ne sont, avec leurs vrais habits et leurs vraies couleurs, que ce qu'il y a de plus horrible à voir et à dire, de faux cadavres.

Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin, architecture, sculpture, peinture : jardins, gravure en pierres fines, gravure en médailles..., Paris, H. Laurens, 1908, p. 432-433.