L'aspect d'une chaîne de montagnes dont les sommets enneigés s'élèvent au-dessus des nuages, la description d'un ouragan ou celle que fait Milton du royaume infernal, nous y prenons un plaisir mêlé d'effroi[1]. Mais la vue de près parsemés de fleurs, de vallées où serpentent des ruisseaux, où paissent des troupeaux, la description de l'Élysée ou la peinture que fait Homère de la ceinture de Vénus, nous causent aussi des sentiments agréables, mais qui n'ont rien que de joyeux et de souriant. Il faut, pour être capable de recevoir dans toute sa force la première impression, posséder le sentiment du sublime, et pour bien goûter la deuxième, le sentiment du beau. De grands chênes et des ombrages solitaires dans un bois sacré sont sublimes ; des lits de fleurs, de petites haies, des arbres taillés en figure, sont beaux. La nuit est sublime, le jour est beau.
(…)
Le sublime émeut, le beau charme[2].

Emmanuel Kant, Observations sur le sentiment du beau et du sublime [1992], Bibliothèque des textes philosophiques, Librairie Philosophique J.VRIN, 2008, p. 19.

[1] « … c'est plutôt dans ses états chaotiques, dans ses désordres et ses ravages les plus violents et les plus déréglés que la nature, pourvu qu'on y aperçoive de la grandeur et de la puissance, évoque le mieux les idées du sublime », Critique du jugement, Analytique du sublime, §23, trad. Gibelin. [2] « L'âme se sent émue à la représentation du sublime dans la nature, alors que le jugement esthétique sur le beau lui donne le calme de la contemplation », Critique du jugement, Analytique du sublime, §27.