Sur un autre plan, le côté draconien du règlement imposé aux voyageurs, excite la verve de Maurice Alhoy, dans "La bibliothèque pour rire" :
"Il est expressément défendu aux voyageurs allant à pied, à cheval, en wagon ou en diligence, de se charger de lettres ; mais il est permis aux lettres courant la poste de se charger de voyageurs. C'est sur cette tolérance que repose l'institution de la malle-poste.
La malle-poste doit donc être confectionnée tout à fait dans l'intérêt des missives, et le voyageur n'a pas le moindre mot à dire s'il ne s'y trouve pas à l'aise. Il a le droit de voyager à pied.
L'administration des postes procède comme celle des sépultures (bureau des cimetières) : elle concède au voyageur ce qu'il lui faut tout juste d'espace dans son caveau roulant. Chaque individu jouit d'une concession de deux mètres de long sur un mètre de large. Il a le droit de faire dans cette zone tous ses développements gymnastiques qui lui sont habituels.
Le tangage d'un bateau monté pour la pêche du hareng n'est qu'un doux va-et-vient de hamac comparé aux oscillations brutales de la voiture aux lettres : les ressorts jouent à la paume avec le voyageur ; et quand il y a quatre habitants dans cette caisse, c'est un combat incessant de nez contre nez, un duel meurtrier où le font choque le front, et ne trouve de rempart que derrière la casquette. Il est impossible de nourrir des inimitiés en malle-poste, le roulis fait embrasser les plus mortels ennemis, avant le troisième relais…
Si les lettres mangeaient, le voyageur aurait le droit d'avoir de l'appétit et de prolonger la séance à l'hôtellerie ; mais quand il a obtenu la faveur d'un repas d'auberge, faveur qui ne se concède qu'une fois toutes les trente-six heures, on lui sert en même temps le potage et le dessert ; si le convive s'amuse à la moutarde, ou s'avise à demander une cure-dent, le courrier arrive l'œil hagard, les cheveux en désordre, et quelquefois le pistolet au poing, et quand c'est un courrier qui comprend sa position sociale, il vous menace, si vous ne remontez pas en chaise, de vous brûler la cervelle, ou pour le moins de vous brûler la politesse…
La malle-poste a pour clients ceux qui emportent l'argent ou la femme des autres, ou ceux qui veulent arriver avant que les autres emportent leur femme ou leur argent."
Paul Charbon, Au temps des malles-poste et des diligences, Histoire des transports publics et de poste du XVIIe au XIXe siècle, Strasbourg, éditions Jean-Pierre Gyss, 1979, p. 58.