Le grand nombre de ses commandes, dit-il, obligeait Canova à recourir largement à l'aide de ses assistants. Il ne réalisait lui-même que les modêles de ses œuvres : des figurines en cire, d'abord, pour préciser sa pensée, puis le modèle d'argile à grandeur d'exécution. Le report au marbre était toujours confié à des assistants qualifiés. Le maître intervenait seulement lorsque l'exécution était très avancée, pour donner la touche finale, ce qui, pour des œuvres importantes, pouvait prendre des semaines, voire des mois. Tandis qu'il procédait à ce type de travail, poursuit Fernow, l'artiste avait la louable habitude de se faire lire par un des membres de son atelier voué à cette tâche les écrits des Anciens en traduction italienne. Ce singulier détail incite à se demander si Canova, sculpteur-gentilhomme, n'entendait pas de la sorte élever le travail manuel à un niveau plus sublime (Anton Raphael Mengs, son aîné, fredonnait une sonate de Corelli en peignant un tableau qu'il voulait, disait-il, composer dans le style du musicien). L'anecdote relative à Canova est certainement véridique ; il écrivit lui-même à un ami vénitien, le 8 février 1794 : "Vous me direz qu'il est impossible, lorsqu'on travaille comme une bête du matin jusqu'à la nuit, de trouver le temps de lire. Il est vrai que je travaille tout le jour comme une bête, mais il est vrai aussi qu'on me fait la lecture presque toute la journée, de sorte que j'ai entendu, pour la troisième fois, réciter les huit volumes de votre édition d'Homère."

Rudolf Wittkower, Qu'est-ce que la sculpture ? [1977], trad. Béatrice Bonne, Paris, Macula, 1995, p. 245-247.