Le lampadaire vespéral et la ville vespérale relèvent du kitsch pour celui qui se place sur le terrain des valeurs culturelles traditionnelles, c'est-à-dire des valeurs politiques. Celui-là considèrera le spectacle qui lui est alors offert comme une dissimulation théâtrale, sensationnelle et profondément mensongère de ce qui constitue à ses yeux la situation réelle, c'est-à-dire la situation politique. Mais pour celui qui se situe sur le terrain de la culture de masse elle-même, la ville vespérale n'est pas un spectacle ; c'est une réalité qui, loin d'occulter les valeurs traditionnelles, les a dépassées. À ses yeux, elle est cathartique au sens où elle le décharge d'une responsabilité à laquelle les générations antérieures se voyaient condamnées. Car, à la responsabilité, elle substitue le choix parmi ce qui est offert, et à la décision elle substitue l'abondance de l'offre. À cet individu, la culture de masse offre un espace dans lequel ses motivations ne sont plus politiques, mais esthétiques. Il vit dans la post-histoire. Aussi pourrait-on dire que ce qui, du point de vue de la tradition, est du kitsch, est du point de vue du nouveau, c'est-à-dire de la culture de masse, de l'art "pur". En d'autres termes, c'est un art qui a dépassé le politique.

Vilém Flusser, Choses et non-choses, esquisses phénoménologiques [1993], trad. Jean Mouchard, Rodez, éditions Jacqueline Chambon, 1996, p. 49-50.